On vient de passer de la croûte aux morilles à la truite aux amandes. Claude était plus drôle qu'il n'en avait l'air, c'était un connaisseur des Contes de Canberbury et un fan de La Vie et les Opinions de Tristram Shandy, ce qui le situait dans le camp du Vieux plutôt que dans celui de l'auteur de Tuer, voler, désobéir, Une vie de Raspoutine ou Dix bonnes raisons pour suicider les bébés.

Les flacons de vin de paille se succèdent. Eponymus et Claude se mettent à débattre pied à pied : les artistes avaient- ils tous les droits, était-il juste d'interdire la lecture des Libertins du XVIIIe au tout venant, la censure soit, mais jusqu'où et qui en décidait ?

Le sanglier du Mont-d’or que les duettistes venaient de liquider n'en revenait pas, on ne voyait plus ça depuis des décennies, c'est tout juste s'ils ne réclamèrent pas du rab de cancoillotte et des pissenlits aux lardons.

Claude, un poil éméché :

– Allez, Schwartz, il a décidé quoi le Grand Bulgari quand tu l'as vu au fond de cette foutue Bibal, parce qu'il me plaît bien moi : Fu Manchu, le Joker, sans les méchants les histoires sont à mourir d'ennui.

Schwartz change d'expression, il élude la question et modèle sa réponse. Cette histoire d'Intelligence Totale et de chasse aux archives, de traçage quantique, de QR-Code rouge, la tentation de réécrire certains chefs-d’œuvre le mettait en rage. Qui aurait voulu abandonner les Hommes aux griffes de la Machine, être les complices de la domination d'une oligarchie désireuse de standardiser, de générer des alphas, des bêtas et des epsilons, de manufacturer des semences stériles, des items répétitifs, des Boucles, des OGM, des bornes et des puces, un ciel peuplé de drones et de nanosatellites ?