LES CHRONIQUES SEPTUAGÉRAIRES - L - 34
By appointment to her Majesty the Queen (4) : Bronzer sous la pluie anglaise, la légendaire bataille de Sue-Ann au lit, des hooligans à Besac et fin de partie en Mercedes 200 SL
Brosser une chronique mémorielle 46 ans après les faits vous expose à privilégier les pics du graphe au détriment de la lente, très lente vérité quotidienne. En effet, des dix mois passés en territoire ennemi, par-delà les passes d’arme et les temps forts, me restent surtout l’odeur de l’herbe humide au moment où le milkman laisse tourner son moteur pour déposer le lait et le journal au 51, le bruit des énormes gouttes de pluie qui martelaient le toit trois jours sur quatre, les Velux et les gouttières, les yeux chassieux et les mini-gueules de bois de la semaine ; la gueule de raie du Tintin informaticien qui encombrait le corridor avec ses clubs de golf, et bien sûr le prof de math, un garçon aussi joyeux qu’une porte de prison, qui me priait de ranger mes couverts avant que je les ai sortis du lave-vaisselle.
Il y a les couleurs aussi. Méduse géante noyée dans la brume d’un océan de grisaille, l’Angleterre peut être un ravissement quand le soleil daigne sortir (en douce quand tu cuves ta bière, ou le soir quand tu rentres fourbu à la maison) : legos de brique rouge, d’auberges à colombage, de flaques gazonnées vert émeraude où des rombières jeunes et vieilles, devisent une ombrelle ou un parapluie à la main. Ou font rouler de grosses boules sur le turf fraîchement tondu et arrosé.
Le recours aux ballades des scarabées de Liverpool ou des Kinks s’impose : « In Penny Lane, there is a barber..." (Beatles, Penny Lane). » - « Sitting in an english garden waiting for the sun »... Si le soleil ne vient pas, tu sauras ce que ça fait de bronzer sous la pluie anglaise (I’m the Walrus). » Ou « Drinking an ice cool beer, lazing on a sunny aftternoon.. » - The Kinks).
A propos d’herbe tendre et de brume violette flottant dans la campagne, Barry Corless aura réussi l’exploit de me faire jouer au cricket un jour où il manque deux joueurs à l’équipe des profs en partance pour le nord du Comté. Si je sais jouer ? Pas du tout, je me suis ridiculisé devant les frères de mon ami Jim en manquant une vingtaine de frappes à Burnhope, dans le county Durham : cela dit, je suis un des seuls Français de l’histoire à connaître les règles de ce jeu lunaire.
Mais je fais vite. La nuit tombe, c’est notre tour de battre, ne nous manque que quelques runs pour l'emporter quand l’ultime batteur avant moi se blesse au coude. Ce qui signifie que nous avons perdu. Suspense tout de même. On m’encourage (même les faux-jetons qui font courir le bruit que je fricote avec Jane, la bombe du lycée).
Arrêt sur l’image. Musique de Sergio Leone. Moi en gilet de laine blanc écru, un pantalon bouffant, des baskets ridicules et le gars en face de moi qui ressemble à Malcolm McDowell dans Orange Mécanique (le bouquin de Burgess est aussi bon que le film...).
Merde, le soleil sort d’un bosquet quand le gars s’élance décidé à me décapiter. La balle de cuir couturée ricoche trois mètres devant moi mais je l’évite.
Même chose au deuxième lancé. Barry court vers moi et me souffle à l’oreille de prier qui je veux mais de tenter quelque chose.
Je tente quelque chose à la troisième puis à la quatrième balle : en pure perte.
Lorsque le soleil disparaît à l’horizon et que l’on se retrouve entre chien et loup, je joue le tout pour le tout et je dévie la cinquième balle ; formidable, elle échappe au garde qui renifle comme un goret derrière moi, Barry et les autres me hurlent de courir à la rencontre de mon coéquipier à vingt mètres fe là. merci J'obéis, je suis un héros, on gagne le mtach d’un point !.
L’english breakfast, l’habitude de parler du temps pour ne rien dire et l’art de la dissimulation ironique me deviennent plus naturels... pas l’habitude de gambader dans les pubs et de me retrouver au lit avec des inconnues.
Il y a Zoé (ça ne s’invente pas, je suis une sorte d’Andy Capp), qui prend de court ses copines, m’allume pendant un mois et me promène de party en party comme on promène un berger belge ou un boxer, laissant entendre que ces animaux-là sont des forces de la nature, ce qu’elle aurait bien été en peine d’argumenter, puisque nous ne couchions pas ensemble !
Zoé avait une copine prénommée Robin, la fille d’un industriel de Northampton, à une heure de route au nord de Birmingham. - Robin, son front très haut, ses mèches auburn de chaque côté du visage, ses yeux célestes, presque blancs, et son air de ravie de la crèche, la pauvre, tremblante, sursautante, rétive. - Avait-elle cru Zoé ? Priait-elle avant de subir les assauts du boxer italofrançais ?
Ce qui devait arriver arriva lors d’une party donnée par des gens que je ne connaissais pas : on investit une chambre à tâtons, elle n'est pas tranquille, elle a peur qu'on soit surpris. Quand elle s'est calmée, je fais de mon mieux pour que mon doigt de dieu soit tendrement à sa taille. En eau, en huile, Robin me supplie de ne pas la faire jouir, ce serait trop bête, on pourrait tomber amoureux, non pas en levrette, non pas en ciseau, pas debout, ça non, pas debout ! En Amazone alors ? Alors surtout pas, il faut respecter l’ordre naturel, l’homme dominant, la femme dominée, et puis le risque de faire un enfant. - Mon Dieu priez pour moi, aaaahh, aaaah, ouiiii, nooon, nouiiii (ndla : Tu sais Robin, je pense souvent à toi. Je me rappelle cette heure passée sur un banc dans un parc, à entendre tes confidences. Tu vas bien, tu as trouvé ce que tu cherchais ?)
Plus de Robin, ça me faisait honte de lui faire traverser Birmingham sans l’aimer.
Même si cela ne représente qu’une vingtaine de nuits sur trois cents passées dans le Warwickshire, il y eut le président de Solihull Boro, qui, impressionné par ma manière de parler du Tale of Two Cities de Dickens et de Down and Out in Paris and London, téléphone à sa fille et la jette dans mes bras sous les yeux de mes coéquipiers, que ça ne surprend pas.
Elle est jeune, laiteuse et excitée comme une puce. Arrivée le matin, elle ne peut plus se passer de mon doudou, un doudou qui danse, qui monte et qui descend.
Un samedi midi, je fais la connaissance de Jean-Paul Morellle, un sculpteur né à Cassis qui pratiquait les compressions comme César. À la troisième pinte de Stout, il veut me faire connaitre son ami Fatzakerley, un plasticien réputé. Je téléphone au siège des Boro’s pour leur dire que j’ai un imprévu, que je ne pourrai pas jouer ce jour-là.
Arrivés dans une auberge transformée en atelier géant, on refait l’histoire des arts depuis Lascaux et les dés à coudre de gin deviennent des Duralex d’irish whiskey. Heureux d’avoir rencontré un futur grand écrivain, Fatza me présente une grande fille à l’air perdu qui me suivra comme mon ombre, me prendra la main, par le cou, me serrera la taille, tout cela toute la journée sans dire un mot. Jusqu'à se glisser dans mon lit le soir. Qu’est ce que tu aimes ? Un peu tout, on verra en route.
C'est Tintin le golfeur qui fait la gueule : ma porte est entrouverte et on teste la position 53 du Kama Sutra que je garde à portée de main sur une étagère.
Un soir où l’on fête l’anniversaire de mon copain rugbyman, une gaillarde à l’air pervers, mini-jupe, téton dardé, bas filés, me repère dans un coin. Sans voiture, je suis coincé et je n’ai pas le moral.
La fille s’appelle Sue Ann. Elle a un petit copain mais il s’en fout. Pas le temps de m’organiser, Sue Ann me boit la bouche dans un coin sombre, vérifiant manu militari que je suis en état de marche. Faussement admirative, elle m’arrache la moitié d’un bras et me conduit à l’étage. La suite est dantesque. Je frise Trafalgar mais refuse que la catin de Nelson ne m’entraîne par le fond, Bref, je transforme sa morne plaine en soleil d’Austerlitz, la hampe de mon drapeau tricolore plantée au zénith le temps qu'il faut. Je brise là, car en dépit d’influences lunaires embarrassantes, nos frictions et succions suivantes ressuscitent l’assaut des zoulous à Rorke’s Drift, la charge de Reichhoffen et même la prise de Fort Alamo.
La suite est cocasse.
Alertée par le fracas, une demi douzaine de curieux accourent entre admiratifs et affolés.
Ce genre d'embellie vous assure une réputation. Ma violeuse en série parle de moi à une collègue divorcée, qu’on appellerait de nos jours une Milf ou un cougar. Eh bien elle eut beau me peloter et me supplier sur le lit de Tintin, j'eus la force de lui prouver que je n'étais pas une fille facile et la renvoyai frustrée dans ses foyers.
Il y eut surtout cette nuit avec Kate Blanchet, que je suis le seul à draguer dans une boite minable un dimanche soir.
Elle est sublime, la silhouette la plus explosive qu’il m’ait été donné de câliner, une fille trop belle pour moi mais que personne n’osait approcher ce soir là.
On ne fait que danser. Elle aime ma façon de bouger, se décide : ce sera chez moi. Elle paie le taxi, nous investissons la chambre de l'économiste et c’est la nuit la plus enivrante qu’il m’ait été donné de vivre. Kate ? Elle tremble, elle a soif de moi, elle s'agrippe à notre communion, chuchote des mots que je ne comprends pas
Je comprends lorsque je prépare son petit-dèj et que je la vois garder une main devant sa pommette.
Je prends doucement sa main. Ce que je découvre me coupe le souffle : une brulure ou une maladie de peau, je l’ignore, mais sa blessure est ignoble.
Comme elle fond en larmes et me demande de lui appeler taxi, je la garde longuement entre mes bras et je pleure aussi. Le taxi de Kate s’éloignera bientôt. La vie peut être un sport violent, souvent...
Côté foot, nos petits gars s’illustrent. Dave, Brian, Kevin, sont souvent dominés mais nous triomphons en quart-de-finale contre des gars de Liverpool. La demi finale aura lieu à Londres, nos ennemis les réacs toussent mais on est des héros.
J'ai oublié pour quelle raison mais je n’assiste pas à la demi finale. Sans doute pour mieux accueillir Maryse, la sœur de mon copain Alain d’Arbois accompagnée par Anouchka, la princesse de la fripe à Paris. Ca ne se passe pas bien. Je téléphone aux parents de Maryse et je leur annonce que leur fille et à son infernale copine ne sont puis sous ma responsabilité ;
Le quasi scandale de la Princesse Alexandra n’a pas amélioré ma cote auprès du Board du collège. On me laisse toutefois organiser une tournée à Besançon où nos boys joueront contre une sélection cadet de Franche-Comté, contre les juniors du RCFC et contre la fac de Lettres.
Pour cette expédition je suis accompagné d’un malheureux prof de physique, Gerry étant occupé à faire passer des examens.
Les gamins s’en rappelleraient. Hébergés dans les locaux de l’École normale en haut de la rue des Frères Mercier, ils goutent aux joies d’une ville universitaire et fêtent chaque défaite avec leurs adversaires. Résultat de l’opération, l’Est Républicain relate les exploits d’une bande de hooligans âgés d’à peIne dix-sept ans et de l’inconscience de leur encadrement.
Lorsque le mois de mai arrive, il est clair que mon intention de candidater pour un demi-poste de chargé de cours ne tient pas debout. Je passe saluer les gars des Rovers, les copains de bringue du Mason’s, Gerry à qui je donne rendez-vous chez mon oncle à Paris mais pas mes colocs à qui je laisse une enveloppe et un chèque correspondant un mois de loyer.
Sur ce radine Peter, l’assistant d’allemand de Lons le Saunier qui remplit le coffre de sa Mercedes jaune bouton d’or de mes livres, parmi lesquels des ouvrages de Lawrence Durrell, John Cowper Powys, Anthony Burgess, Silitoe, Norman Mailer et un coffret des ouvres complètes de Herman Hesse en anglais. On arrose ça au Mason’s. - Un bref coup d’oeil sur le clocher pointu et pâle, sur Hight Street, son alignement de colombages vernis au noir et l’appointemnt de sa Majesté la Reine tourne court Que voulez-vous "Le Monde est une scène et nous sommes de pauvres acteurs"... La suite au prochain numéro.
Mis à jour ( Lundi, 29 Juillet 2024 16:51 )