REVUE DU DETAIL - ODYSSÉE 36-92
La Revue du détail reprend son envol. Premier retour sur image, l'incipit de la novella marseillaise "Odyssée 39-92, parue en tiré à part en 1998 puis in "Traité de savoir où", Éditions Souffle court, avril 20023. A vous de voir...
ODYSSÉE 39-92
PROLOGUE
Bod Ordzianovski — un colosse blanc qui boxait avec une prothèse — avait descendu un docker de Miami, et les gerbes de sueur libérées par ses jabs m’étaient restées en travers de l’estomac. « T’as pas l’air en forme, Schwartz, m’avait dit un journaliste de Libé, en me faisant signe d’aller me faire ficher. Il n’avait pas tort, H.B. Schwartz n’était plus ce qu’il avait été.
Au casino d’Aix, rien n’avait changé, pas plus la fumée autour du ring que les cris hystériques. Encore moins l’odeur de liniment dans les vestiaires. Oui, j’avais grossi, je le reconnaissais devant la presse. Non, je ne connaissais pas l’Unijambiste de Chicago. Inexorable, une boule de billard avait squatté mon épigastre et faisait affleurer à mes lèvres un vieux goût de sang.
Schwartz c’était moi, Belqacem-Schwartz, dit Raldo. Un nom patchwork pour un Français ordinaire, un balourd dont l’enfance de bagage accompagné s’était déroulée entre un barreau de chaise alcoolique et une maman qui battait la campagne. Le grand scénariste là-haut avait fait simple : j’étais austro-kabyle. Puis je fus étudiant et champion de France des mi-lourds. Pour finir chroniqueur dans une revue d’arrière-garde « La Perspective Popotame ». C’était ça, ma vie, un parcours en dent-de-scie ponctué d’exploits et de contre-performances, un rigodon entre les matinées passées à lire L’Idiot et les chandelles brûlées par les deux bouts.
Le match avait été décevant. Écœuré par les réflexions du plumitif parisien, j’avais filé sur le Vieux-Port et j’avais sorti Le Tractatus logico-philosophicus de la poche de mon gilet. C’était un soir de juin comme les autres, de la sueur croupie marinait dans les caniveaux du Vieux Port.
Comme ma vie était un mille-feuille — une couche de miel, une couche de sel — ne vous étonnez pas si je vous bassine avec la nuit qui s'installa en un dégradé si subtil qu'on ne la vit pas venir, à moins que — par saccades — elle n’eût chassé le soleil de ma table, du trottoir, puis du ciel tout entier, de sorte que le cul des passantes en était ocellé. Ocellé ! Toujours cette manie de conjuguer « va te faire foutre » au subjonctif et de convoquer Raskolnikoff au Leader-Price...
SACRÉES RENCONTRES : PIERRE PECOUD" PROPEDEUTIQUE POUR UN EFFACEMENT" Pierre PECOUD Au cœur de l’agape qu’il a fomentée, un soir de vernissage dans son atelier de Saint-Etienne, mon ami feu le peintre Pierre Pécoud tend son index sous le nez d’un visiteur affairé à déglutir un toast : — “Quand vous regardez ce qui pend aux murs, vous diriez qu’il se passe quelque chose... ?” — De fait, que se passe-t-il depuis la nuit où Pécoud a dépècé ses “chasubles”, qu’il les a démantèlées, qu’il les éparpille et les enkyste entre son zéro et l’Infini ? Je suis heureux et ému d'exhumer ce texte paru à sa demande dans son dernier catalogue... Je pense bien à toi, vieux brigand, et je revois sans peine ton regard trop bleu et un certain sourire sous ta moustache... Entre deux néants, la jute Foi de géologue, les couches premières gisent sous les couches plus récentes, de l’hercynien vers le jurassique, du primaire vers le quaternaire. De même l’enfance précède l’âge mur et le troisième âge. Et l’apprentissage conditionne la maîtrise. De sorte que si l’on gratte une toile quelconque, l’ongle recueille les pigments déposés en dernier lieu pour remonter le temps jusqu’au canevas. Idem pour Pécoud. Griffe-t-on, racle-t-on la surface de ses bâches que l’on y recueille du sable, de la poussière, du tissu, un florilège de résidus et de matières organiques qui ravirait un expert en police scientifique. À la différence que le passé, chez Pécoud, se situe également, et surtout, en-deçà — du côté du voyeur — et par-delà — dans un auparavant mystique indicible et/ou absurde... LA VIE DE L'ABBÉ OUTHIERLa vie de l’abbé Outhier cliquer sur la signature pour en savoir plus sur "La Boue & les Étoiles"... LES CHRONIQUES SEPTUAGÉNAIRES - L 01Saison 01 - Livraison 01 LE JOUR DE MA NAISSANCE... " Le jour de ma naissance, un 1er janvier 1951, l’Armistice a été signé depuis 1957 jours. Avant-goût de l’hiver qui fera connaître au pays la figure de l’Abbé Pierre, un vent glacé mord la chair et les os des centaines de milliers d’ouvriers qui se démènent jour et nuit pour relever le pays de ses ruines. Le monde pleure encore ses morts, les cimetières sont fleuris et le moral est au beau fixe, il y a du boulot et, comme on dit à l’époque : quand le bâtiment va tout va. On fait France de tout bois. Des couples se forment par milliers et mettent au monde les enfants de la paix revenue : des Franco-Français, des Franco-Italiens, des Franco-Polonais, des Algériens encore français : ce qu’on appellera le baby-boom. L’année de ma naissance, le réveillon tombe un dimanche soir. Le dimanche, dans l’immédiat après-guerre, c’est le seul jour de repos de la semaine, le jour du Seigneur pour les croyants, le jour où les hommes abandonnent le bleu de chauffe pour se mettre sur leur 31, comme on dit à l’époque. Dans cette société « genrée », le dimanche et les jours de fête, les grands-mères, les belles-mères, les sœurs, les épouses et les grandes filles préparent le déjeuner mais ce sont les hommes qui prennent leur rejeton mâle par la main et vont faire les courses, chercher du vin, acheter des gâteaux. Puis on fait un tour au PMU pour l’apéro entre copains de chantiers. Des mots et mes morts : les Trois FrèresJean P., Claude C., Osmo P., JP Bérubé, François H., Raymond F. , Jacques D., Daniel H., ça commence à faire, heureusement s'il y a les morts il y a aussi les mots... LES TROIS FRERES Il faudra que je tranche. Brutalement. Il y aura l'orphelinat et après. Pour y parvenir, je devrai me tailler des croupières, me retrancher, me châtrer. Fini le temps des expérimentations, du baroque, de l'alchimie bizarroïde. Dehors, la neige tombe, têtue, sans discontinuer depuis le jour de l'enterrement. J'en ai assez fait dans le deuil, cette couvade ; il faut que je parte en retraite. Donner du sens au précipice qui s'est creusé le 20 novembre 2010 au soir. Obéir à cette injonction intime, ne pas imiter Orphée, ne pas se retourner. Bâtir l'oeuvre avec mes objets, seulement mes objets et mon monde. Laisser celui des anciens où il se trouvait. Sans rien d'autre que cette idée venue de la contemplation de l'effacement de la vie dans le corps de ma mère, puis de son corps lui même. |